Le spectacle


Les faits

Le 2 février 1933, Christine et Léa Papin, domestiques chez les Lancelin, assassinent sauvagement et sans raison apparente leur maîtresse et sa fille.

Le procès soulève alors une polémique. On parle de crime social, les journaux couvrent l'évènement, on multiplie les expertises mais la folie, contre toute attente, ne sera pas reconnue.

Aujourd'hui encore des doutes subsistent quand au déroulement des faits, l'enquête laisse apparaître des manquements et Léa Papin qui survécut à sa sœur s'en tiendra toute sa vie à la déclaration faite au procès. Le fait divers aura marqué les esprits et aura été source d'inspirations cinématographiques et littéraires (Les Blessures assassines de Jean-Pierre Denis, Les Bonnes de Jean Genet, La Cérémonie de Chabrol, etc.)

Au delà du fait divers et de la fascination qu'il suscite, fascination sans doute générée à la fois par la violence et la soudaineté des faits, le crime de la rue Bruyère fait naître un questionnement sur l'apparition de cette folie meurtrière : quel est le déclencheur ? Quel est le grain de sable qui a enroué la machine ? Comment accède-t-on à une telle violence ? Comment un tel acte est-il physiquement possible ? (les corps sont mutilés, les visages écrabouillés, les yeux arrachés de leurs orbites traînent sur les marches de l'escalier...) Dans quel état psychique se trouvent les meurtrières après le crime et pendant le procès ?

Pour comprendre le drame humain qui se trame derrière l'histoire des faits nous avons décidé d'explorer l'affaire par le biais de l'écriture théâtrale.
Sur le plateau, deux comédiennes s'immergent dans les archives de l'affaire, explorent le relation complexe des soeurs criminelles et visitent la frontière ténue qui lie les actrices à leurs personnages.


Entre fantasme et réalité entre comédiennes et personnages, entre passion et raison : un spectacle sur le fil.




L'écriture et la mise en scène

Le fait divers a inspiré de nombreux auteurs et le fantasme suscité par le meurtre a engendré de nombreuses productions littéraires et cinématographiques. Parallèlement de nombreuses études cliniques et sociales ont été menées afin d'essayer d'expliquer le passage à l'acte et la violence des faits.
Plusieurs raisons nous ont conduit à écrire sur ce thème. Si nous n'avons pas échappé aux questionnements et à la fascination, nous y avons vu un vrai matériau de jeu pour les comédiennes que nous sommes : la folie, le doute, l'incertitude, la violence, le désir, etc.
Nous avons souhaité dans un premier temps mener notre propre enquête pour nous baser sur la réalité des faits ou du moins sur les témoignages de l'époque : recherches d'articles de journaux - Le Temps, Détective, Paris soir - d'archives sonores, consultation des archives du procès au Mans, consultation des écrits sur le crime, le procès, la folie, les reportages, le contexte social de l'époque...
Nous avons été amenées à nous questionner sur la place du fait divers dans notre société actuelle et passée. Nous avons travaillé sur le langage, le récit théâtral, le phrasé, les jeux de rôles. Nous avons essayé d'approcher la folie et ses mécanismes, de la comprendre et de la rendre théâtrale.
Nous avons tenté, si ce n'est d'apporter des réponses à tout prix, du moins de construire notre propre fiction afin de faire de ces personnes, de vrais per- sonnages.


La violence du meurtre est telle qu'il nous semble dans un premier temps ne pas pouvoir la comprendre, ni même l'envisager. Pourtant, c'est en regardant dans le tréfonds de nos propres ambiguïtés que l'on peut l'approcher. En reconsidérant notre fascination pour ce fait divers, la terreur qu'il nous inspire. En suivant le fil, le cordon ombilical de nos propres démons, en acceptant d'observer au microscope dans l'obscurité de nos inconscients, nous pouvons entrevoir des fragments d'explication, les larves qui font qu'un quotidien banal et sans histoire bascule dans l'horreur.



Nous cherchons à partager nos questionnements avec le public. Le spectacle présente des éléments de réponse mais n'apporte pas de solution. Il alterne entre documents historiques et travail d'improvisation, relative objectivité et subjectivité affirmée.


En opposant aux données "officielles" le ressenti des comédiennes. En variant les matériaux (archives judiciaires, archives médicales, articles de presse de l'époque, écriture à base d'improvisation, etc.) et en variant le traitement même de ces matériaux (tour à tour distancié, réaliste, stylisé, symbolique...).

Il ne s'agit donc pas de présenter cette affaire sous un angle puis sous un autre, mais de l'aborder comme un mystère, fruit d'un enchevêtrement de données, qui vient résonner avec les propres interrogations des comédiennes.




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